La polarisation des opinions : une chance pour avoir enfin une Europe sociale ?

ACTUALITÉS (ETUI – décembre 2016)

7 novembre 2016

La polarisation des opinions, une aubaine pour l’Europe sociale?

Maurizio Ferrera est un expert reconnu des systèmes de protection sociale en Europe. Lors d’un déjeuner-débat de l’ETUI, organisé à Bruxelles le 25 octobre, il a plaidé pour la création d’une « Union sociale européenne ». Un projet susceptible de concilier intégration économique et cohésion sociale. Pour y parvenir, les élites – politiques, économiques et intellectuelles – doivent s’interroger sur leur grille de lecture habituelle et être capables d’élaborer un projet novateur.

Maurizio Ferrera a présenté les résultats préliminaires d’une enquête d’opinion réalisée auprès des citoyens de six pays membres (Allemagne, Espagne, France, Italie, Pologne et Suède). En dépit de la montée des populismes en Europe et d’une tendance marquée au repli sur soi, les résultats montrent que les valeurs de solidarité restent partagées par une grande partie de la population. Ainsi, plus de quatre répondants sur dix estiment que tous les étrangers – et pas uniquement les ressortissants européens – ont le droit de bénéficier du système de protection sociale du pays dans lequel ils sont installés. En ce qui concerne le projet européen, le sondage apporte un peu de baume au cœur des europhiles : une majorité des personnes – très large en Italie et en Espagne – estiment que l’intégration européenne devrait être renforcée.

Pour Maurizio Ferrera, ces résultats montrent que le soutien à l’idée d’une Europe sociale est potentiellement important parmi la population. Le problème est que ce désir de plus de social n’a jusqu’à présent pas trouvé de canal d’expression suffisamment puissant. La faute aux élites, estime le professeur de sciences politiques de l’université de Milan. Par élite, il entend non seulement les responsables politiques et les bureaucrates, mais également les leaders économiques et sociaux, ainsi que les intellectuels, auxquels il reproche un certain conformisme.

M. Ferrera estime que l’Europe a besoin d’un nouveau « projet intellectuel » qui devrait être constitué de trois chapitres : l’Union économique et monétaire (UEM), l’Union politique européenne (European Political Union, EPU), et une Union sociale européenne (European Social Union). Ce dernier chantier, il envisage qu’il aboutisse non pas à un « État providence supranational » (a supranational Welfare State) mais plutôt à une « Union d’États providence nationaux » (a Union of national welfare states).

Maria Jepsen a commenté les résultats des récents travaux du chercheur italien. Concernant le phénomène de polarisation des opinions publiques, avec d’un côté une majorité ouverte à l’approfondissement de la dimension sociale du projet européen et de l’autre une forte minorité tentée par un repli national, la directrice du département Recherche de l’ETUI a estimé que « ces conflits peuvent être positifs ». Le débat sur la dimension sociale de l’Europe ne s’est jamais imposé naturellement, mais comme une forme de compensation au volet économique de la construction européenne, a-t-elle expliqué en substance.

Depuis 2005, c’est le marché qui donne le ‘la’ en matière d’intégration européenne, en mettant l’accent sur la responsabilité individuelle. « Le mot ‘protection’ est devenu tabou », observe-t-elle. Ces dernières années, ce mot est revenu à l’avant-scène, notamment dans le discours politique. Mais elle constate l’absence de leadership pour porter ce nouveau récit sur la scène européenne. « À l’heure actuelle, nous ne voyons pas de coalition se dessiner », a-t-elle commenté, plaidant dans la foulée pour une modification du traité afin de mettre économie et intégration sociale sur un pied d’égalité.

En savoir plus :

Ferrera M., Rotta di collisione. Euro contro welfare? (Sur la voie d’un affrontement: l’euro contre la protection sociale?),  Editori Laterza, 2016.

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