La Commission européenne relance son projet d’assiette commune de l’impôt des sociétés (CCCTB) … et va consulter
https://www.theguardian.com/world/2016/oct/19/european-commission-overarching-corporate-tax-proposals-profit-shifting
Juncker lance son projet d’harmonisation fiscale
L’harmonisation fiscale à l’échelle européenne est un vieux mythe, déjà évoqué en 1988. On parle de règles communes d’imposition des sociétés, d’une déclaration fiscale unique en Europe. Mais rien n’a jamais abouti.
La Commission européenne de Jean-Claude Juncker avait donc promis de revenir à la charge, avec un nouveau texte. Et – grande nouvelle – ce texte arrive. Le 26 octobre, la Commission proposera une version revue et corrigée de son projet de 2011 d’harmonisation de l’assiette de l’impôt des sociétés (ACCIS). Une version que Le Soir a pu consulter, et dont voici les grandes lignes.
1 Qu’est-ce que cette « assiette harmonisée » ? L’ « assiette commune consolidée sur l’impôt des sociétés » (ACCIS) vise à permettre aux entreprises qui ont des activités dans plusieurs pays européens de se soumettre à un seul corpus de règles sur l’impôt des sociétés.
Actuellement, une entreprise opérant dans plusieurs pays européens doit remplir des déclarations fiscales dans chacun d’eux. Elle ne peut pas déduire de ses impôts les mêmes dépenses d’un pays à l’autre ou amortir de la même façon l’achat d’une machine, par exemple (les Etats membres jouent sur ces leviers pour renforcer leur attractivité fiscale). Les entreprises ne peuvent pas non plus déduire des pertes essuyées dans un pays de leur résultat dans un autre pays.
Le projet de 2011 visait précisément à répondre à ces problèmes. Concrètement, les groupes d’entreprises auraient été autorisés à remplir une seule déclaration fiscale pour les pays européens, sur base d’un chiffre d’affaires consolidé. Les Etats membres de l’Union européenne se seraient ensuite réparti l’impôt selon une formule complexe basée sur trois facteurs : la main-d’œuvre, les actifs et les ventes.
2 Pourquoi ça n’a pas marché en 2011 ? A l’époque, les parlements nationaux de huit Etats membres avaient remis des avis négatifs sur le texte. Seuls l’Italie et le Portugal avaient remis des avis favorables, parmi les Etats qui s’étaient prononcés dans les temps. Les blocages étaient multiples. La fiscalité est une compétence nationale que les pays européens protègent jalousement. Or, sur les questions fiscales, toute décision au niveau européen se prend à l’unanimité, ce qui ralentit considérablement le processus.
Certains pays craignaient par ailleurs que cette assiette commune soit la première étape vers une harmonisation des taux d’imposition à l’échelle européenne, à laquelle des pays comme l’Irlande et la Belgique sont farouchement opposés. La possibilité pour les multinationales de consolider leur résultat et donc reporter d’éventuelles pertes dans un pays sur le résultat comptable d’un autre pays était aussi très controversée.
3 Quels changements la Commission propose-t-elle ? Principalement, de laisser la consolidation (du chiffre d’affaires des entreprises) pour plus tard pour se concentrer, dans un premier temps, sur l’harmonisation (des règles fiscales à l’échelle européenne). Elle a donc isolé la première et l’a mise dans une proposition législative distincte.
L’objectif ? Etablir des règles fiscales harmonisées sur l’assiette, applicables au 1er janvier 2020, et consolider cette assiette deux ans plus tard. Entre-temps, les entreprises auraient droit à une compensation temporaire de leurs pertes d’un pays à l’autre, c’est-à-dire jusqu’à ce que la filiale en pertes soit en meilleure santé financière.
La Commission propose également de rendre cette ACCIS obligatoire pour les groupes dont le chiffre d’affaires annuel atteint au moins 750 millions d’euros. Un seuil qui n’a pas été choisi au hasard, puisqu’il s’agit de celui du plan d’action de l’OCDE contre l’optimisation fiscale. Cela concernerait soixante groupes belges. Pour rappel, en 2011, la Commission proposait que les entreprises puissent au contraire y souscrire librement. Elle estime désormais cela peu probable, d’où l’idée de la contrainte, dès lors que cette ACCIS est perçue comme un puissant outil contre l’optimisation fiscale, que les entreprises pratiquent évidemment volontiers.
4 Pourquoi serait-ce intéressant pour les entreprises ? D’abord, parce que les coûts liés à l’obligation de se conformer à vingt-huit législations fiscales seraient abolis. La Commission estime que l’ACCIS pourrait permettre une augmentation de l’investissement et de l’emploi respectivement de 3,1 % et 0,4 %. Le coût de mise sur pied d’une filiale à l’étranger serait réduit de 67 %, selon l’institution européenne.
Mais la Commission propose également des incitants fiscaux. Ainsi, comme nous l’avions rapporté en septembre, elle entend généraliser le régime des intérêts notionnels, c’est-à-dire permettre aux entreprises de réduire leur base imposable en déduisant des intérêts fictifs en fonction de leurs capitaux propres. A noter cependant que, la Commission estimant que le modèle belge n’est pas suffisamment robuste face aux abus, c’est plutôt le modèle italien qui tiendrait la corde. Les mesures visant à empêcher l’évasion fiscale par ce biais devront toutefois être déterminées une fois que la négociation sur l’assiette sera finie.
Enfin, la Commission dit vouloir proposer un cadre ultra-généreux pour la recherche et le développement. Les start-up pourront par exemple déduire l’entièreté de leurs coûts en la matière, du moins jusqu’à hauteur de 20 millions d’euros.
La Commission pense que le vent a tourné et que l’élan international dans la lutte contre l’optimisation fiscale des multinationales joue en sa faveur. Mais en vérité, elle s’est tirée dans le pied. D’une part, parce que les mesures anti abus préconisées par l’OCDE qui figuraient dans sa proposition de 2011 ont été retirées et isolées dans une proposition distincte, adoptée plus tôt cette année. Les pays européens n’ont donc plus besoin de l’ACCIS pour harmoniser leur mise en œuvre des mesures de l’OCDE. Ensuite, les modifications qu’a apportées la Commission à son projet initial pour accommoder les États sont rejetées par les entreprises. Le lobbying s’annonce donc intense.
Enfin, comme nous l’explique Jean Baeten, en charge des dossiers fiscaux à la Fédération des entreprises de Belgique, la proposition de 2011 aurait provoqué une diminution des recettes de l’impôt des sociétés de 30%, « soit un trou budgétaire de plus de quatre milliards d’euros pour la Belgique », selon lui en faveur de la France et l’Allemagne.
http://ec.europa.eu/smart-regulation/roadmaps/docs/2016_taxud_006_ccctb_rm_en.pdf