A soutenir : la lutte contre la corruption en Europe ! – Populisme …, la soupe aux simplismes ! par les Equipes Populaires – l’heure de l’euroscepticisme, une contribution de Geert Van Istendael – Géraldine Duquenne (Justice et Paix/Be) – L’Europe, leader de la course à l’impôt zéro – la Belgique se place dans la course !

Une initiative à soutenir : A l’approche des élections du 26 mai et bien au-delà  ! – la lutte contre la corruption et l’évasion fiscale en Europe :

https://www.les-deputes-les-lobbys-et-les-truands.com/


Populisme et soupe aux simplismes – par les Equipes Populaires (newsletter mai 2019)

http://eye.newsletter.equipespopulaires.be/m2?r=uDVhNjI1NWQ3Yjg1YjUzNmE5ZjRiZTIyZsQQ8-HQqNDEDdDGQh7QmNCv0JjQtNC4adDESsQQE0jtMR_QpE5-0Jz4H1DQju_Qk9C8u2ZyYW5jb2lzLmdvYmJlQGJlbGdhY29tLm5ldKCYqkNPTlRBQ1RfSUS2RTBqdE1SLWtUbjZjLUI5UWp1LVR2QbNFTUFJTF9DT1JSRUNUSU9OX0lEoLFPUklHSU5fQ0FQVElPTl9JRKJlcK5PUklHSU5fS0lORF9JRKRMSVNUs1BIT05FX0NPUlJFQ1RJT05fSUSgqFNUQVRFX0lEpk5PUk1BTLVzcHVtaG1qbmdsNWw1MHN1enprZmegtXp5bDJwOHMzY2lmeWo4MzlxMDNsZaA=

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Une interview de Geert Van Istendael  (reprise du Vif L’Express) – 14 mai 2019

« L’idée centrale de mon point de vue politique est que la sécurité sociale est un sommet de civilisation, explique l’écrivain et fils de syndicaliste, Geert van Istendael. C’est ce qui fait vraiment la supériorité de notre modèle occidental. Un barrage contre toute misère. C’est ce que dit une brochure que j’ai écrite en 1995. En 2012, après une conférence, j’ai développé cette réflexion. »

« Après la guerre, la construction, la gestion et la défense de la sécurité sociale et de l’État-providence ont été la véritable raison d’être des deux principaux mouvements politiques sur ce continent : la social-démocratie et la démocratie chrétienne. Malheureusement, les sociaux-démocrates ou ‘socialistes’ et les chrétiens-démocrates ne défendent plus correctement ce bel héritage. Au contraire, ils contribuent parfois même à la détruire. Ils cachent ainsi leur raison d’être. Et pour cela, l’électeur les sanctionne depuis des années, élection après élection. »

Il est en effet frappant de constater que les chrétiens-démocrates et socialistes sont en chute libre dans tous les pays fondateurs de l’Union européenne.

Geert van Istendael : En Allemagne, il semble que la CDU/CSU (33% en 2017) et le SPD (un peu plus de 20%) n’aient pas perdu grand-chose. Mais dans les années 1970, ces deux partis réunis atteignaient encore plus de 90%, et jusqu’en 2005 encore plus de 75%. Les attaques contre la social-démocratie et l’État-providence durent depuis longtemps. Elles sont pleinement amorcées au début des années 1980 par le président américain Ronald Reagan et la Première ministre britannique Margaret Thatcher. Reagan était sans égal dans sa communication, Thatcher était un véritable génie politique, une classe à part. Son opposition aux grèves dans les mines a éreinté les syndicats britanniques. Par la suite, la gauche britannique a eu peu d’influence idéologique sur elle. « Ma plus grande victoire », a-t-elle dit plus tard, « c’est la montée et le succès de Tony Blair et de la politique de la troisième voie par laquelle le New Labour a subordonné la protection sociale aux lois du marché libre. Nous avons forcé nos adversaires à changer d’avis ». Je désapprouve pratiquement tout ce que Thatcher a fait. Mais son influence sur la politique britannique et européenne ne doit pas être sous-estimée.

Vous situez la première grande défaite de la social-démocratie sous la présidence française de François Mitterrand. Il a pourtant la réputation d’être l’un des socialistes les plus importants du siècle dernier.

François Mitterrand est devenu président en 1981 après une opposition réussie à la politique d’austérité de son prédécesseur Valéry Giscard d’Estaing. Il a monté un gouvernement de socialistes et de communistes. Celui-ci a nationalisé trente banques, dont la vénérable banque Rothschild, ainsi que des colosses d’entreprises telles que le groupe chimique Rhône-Poulenc et le géant sidérurgique Usinor. Même le président du PTB, Peter Mertens, n’oserait plus proposer de telles mesures. Les marchés boursiers ont immédiatement plongé dans le rouge, les marchés monétaires internationaux étaient carrément hostiles à l’approche française, tout comme la plupart des autres chefs de gouvernement européens, le social-démocrate allemand Helmut Schmidt en tête. Les choses ont vite mal tourné : le franc français a été dévalué, le chômage a culminé, la dette publique a augmenté de moitié, la balance des paiements et le budget ont plongé dans le rouge, et ainsi de suite.

Mitterrand était piégé. Il a pris un tournant – et à partir de 1983, il a soudain prêché la rigueur. Mais quelle était sa rigueur sinon une répétition de l’austérité à laquelle il avait tant résisté en 1981 ? C’était une tentative transparente d’induire la population française en erreur. C’est chercher les coups, non?

Mitterrand a fait appel à un nouveau Premier ministre : le technocrate Laurent Fabius a remplacé l’ancien syndicaliste Pierre Mauroy. Dans votre livre, vous ne vous montrez pas fan de tels politiciens.

Laurent Fabius était énarque, diplômé de l’École Nationale d’Administration (ENA). De tous les produits brillants sortis de cette école, il était le plus lisse. Ce n’est pas qu’il respirait la confiance en lui, il était la confiance en lui. Malheureusement, il n’était pas seul. Après lui, le Parti socialiste français a continué à faire régulièrement appel à des anciens de l’ENA tels que Lionel Jospin et François Hollande. Dans le même temps, la droite modérée était également dirigée par des énarques comme Jacques Chirac et Alain Juppé – l’actuel président Emmanuel Macron en est un aussi. Il n’y avait plus de différence entre la gauche et la droite classiques. Aucun parti ne défendait encore les intérêts du petit Français. C’est ainsi que le petit Français s’est joint aux nouveaux partis qui prétendaient les défendre.

À partir du milieu des années 1980, le Front national a connu ses premiers grands succès. Ce parti a été vivement critiqué, et à juste titre, pour son discours haineux à l’encontre des migrants. Mais se pourrait-il qu’il doive son succès récent sous Marine Le Pen à son programme social ? Le Rassemblement national (comme il s’appelle depuis juin 2018, NDLR) s’efforce d’augmenter les salaires les plus bas et les pensions minimales, d’indexer les allocations familiales, d’abaisser l’âge de la retraite, de mieux protéger les petits épargnants et les indépendants et de renforcer la sécurité sociale. Sont-ils les nouveaux sociaux-démocrates ?

Dans la plupart des pays européens, les socialistes et les démocrates-chrétiens ont adopté une ligne socio-économique similaire, mais dans certains pays la politique est plus claire et plus cohérente que dans d’autres. C’est pourquoi on plaide pour que la Belgique suive enfin l’exemple allemand.

Si la Belgique copie un jour le modèle allemand, une grande partie de la population s’appauvrira. Et nous sommes déjà si mal lotis. Au cours de la dernière décennie, l’Allemagne a modifié sa politique socio-économique, et ce n’était pas pour en bien. Il s’agit des fameuses mesures de Hartz. Peter Hartz était directeur du personnel chez Volkswagen et, en même temps, membre du SPD et du syndicat allemand des métallurgistes. Au début des années 2000, le chancelier social-démocrate Gerhard Schröder l’a engagé pour réformer le marché du travail. Schröder avait déjà vécu sa vie sous le nom de ‘Genosse der Bosse’ : l’ami des patrons. Désormais, le  » travail insignifiant » – c’était le terme officiel – était proposé à 450 euros par mois. En 2017, 7,8 millions d’Allemands étaient encore « au travail » dans ce système.

En Allemagne, le gouvernement de socialistes et de verts a donc lui-même produit une sous-classe de personnes qui travaillent, mais ne peuvent pas gagner leur vie grâce à leur salaire. Et ces politiciens en sont fiers. Mais les travailleurs allemands ont massivement tourné le dos au SPD. Et tout comme en France la FN a bénéficié du déclin des socialistes, en Allemagne l’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD) a pu entamer son ascension. Les analyses des résultats des élections allemandes révèlent que la première raison pour laquelle les Allemands choisissent l’AfD c’est leur déception face aux autres partis.

Vous posez des exigences plus élevées, ou du moins différentes, aux socialistes et aux démocrates-chrétiens qu’aux libéraux, par exemple. Les deux premiers groupes doivent non seulement maintenir l’équilibre économique et budgétaire, mais ils doivent aussi le faire d’une manière sociale.

Je comprends parfaitement qu’au Forum économique mondial de Davos un ministre libéral se vante des bas salaires dans son pays. Mais c’est impossible pour un socialiste ou un démocrate-chrétien, non? Un politicien libéral se vanterait-il d’avoir augmenté les impôts ?

Au fond, dans votre livre, vous dites que ces dernières années les socialistes et les démocrates-chrétiens ont conclu un pacte avec le diable.

Ils ont vendu leurs âmes, tout comme Faust l’a fait avec le diable déguisé en Méphisto. Dans l’adaptation de Goethe, Faust se retrouve finalement au ciel. Dans le livre folklorique original du XVIe siècle, il s’est irrévocablement retrouvé en enfer. (rires) Je me demande ce qui attend les socialistes et les démocrates-chrétiens.

Si un parti politique se porte mal (ou bien) dans l’isoloir, ses politiques et ses positions ont-elles toujours été mauvaises (ou bonnes) ? Le dimanche noir, la grande percée du Vlaams Blok en 1991, le leader de la Volksunie, Hugo Schiltz, a déclaré : « L’électeur a fait une erreur ».

On peut toujours dire que l’électeur a fait une erreur, je pense que c’est généralement un cliché facile. Il est également apparu après les référendums suisses, après les votes anti-européens en France et aux Pays-Bas et, bien sûr, après le référendum sur le Brexit. Si les électeurs ne votent pas comme l’élite européenne le souhaite, ils sont toujours étiquetés comme stupides. Ce sont des idiots qui votent même contre leurs propres intérêts, et certainement contre l’intérêt général de l’Europe.

Pendant le référendum de Brexit, le camp pro-européen a été piégé par sa propre autosatisfaction: « Nous gagnons de toute façon ». Même la partie soi-disant progressiste de l’élite était si vaniteuse qu’elle ne pouvait imaginer qu’une majorité d’électeurs serait assez idiote pour penser différemment.

En parlant de l’élite progressiste : dans votre livre, vous êtes virulent envers les verts. Les politiciens écologistes « considéreraient qu’il est plus important qu’un chômeur ne mange pas de saucisses que de percevoir une aide ».

J’ai une relation amour-haine avec les verts. Je trouve les exigences vertes incroyablement importantes. En février, je me suis joint à une manifestation à Louvain, avec les élèves qui criaient. Cela a fait plaisir à mon vieux coeur. Mais je ne comprends pas le dédain de tant de verts pour les petites gens.

Je vois de plus en plus de citoyens du monde éduqués et se trouvant larges d’esprit qui non seulement adoptent un mode de vie et des points de vue verts, mais qui semblent également soutenir des idées économiques (ultra) libérales et libertaires, en accordant peu d’attention à la solidarité et sans la moindre considération pour les victimes de cette mondialisation sauvage. En même temps, beaucoup de ces verts se délectent de l’exotisme qu’on leur apporte de l’étranger – sauf dans leur propre quartier. Il faut des limites quelque part. En Belgique, la situation n’est pas si dramatique, mais à l’étranger, il y a des quartiers entiers de la ville remplis de gens de même bord ou de même éducation. Un quartier berlinois comme Prenzlauer Berg est dominé par les ‘conformistes non conformistes’ : ne vous écartez pas du droit chemin, où les alternos vous regarderont de travers. (rires) Depuis leur position confortable, ils osent critiquer les gens qui ont une position beaucoup moins confortable. Je ne comprends pas ça. C’est pourquoi je cite le socialiste et ancien ministre allemand Sigmar Gabriel avec beaucoup d’approbation : « Il s’agit de redire comment nous voulons vivre, et non comment nous devrions vivre ».

La grande importance de la solidarité : vous insistez toujours et partout sur la solidarité.

Oui. Notre sécurité sociale est le meilleur barrage contre la misère, et c’est précisément pourquoi je la considère comme le sommet de la civilisation européenne. Quiconque l’attaque est, à mon avis, aussi mauvais que quelqu’un qui détruirait l’Agneau mystique, ou oserait interdire de jouer de la Neuvième Symphonie de Beethoven. Quand Mario Draghi dit dans le Wall Street Journal que le modèle social européen a disparu et que notre contrat social traditionnel n’a plus d’importance, le grand patron de la Banque centrale européenne se déclare l’ennemi de la civilisation européenne. Quiconque s’en prend à la sécurité sociale et à notre État-providence met le feu à Notre-Dame.

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Mouvements citoyens, euroscepticisme… quelle sera l’Europe de demain ?

 Le Brexit fait énormément parler de lui depuis deux ans. Au-delà d’un vote anti-immigration, il est davantage le signe d’une population écrasée sous le poids de l’austérité. Ces inégalités sociales ne sont pas le propre des Britanniques, comme l’indique le mouvement des Gilets jaunes en France, par exemple. L’Europe parvient-elle à saisir ce profond mal-être ? Comment gère-t-elle ce fonds de colère qui profite aux partis populistes ?

 

Si l’on en croit les sondages, le paysage politique européen post-élections sera beaucoup plus morcelé qu’aujourd’hui. Les Sociaux-Démocrates perdraient du terrain au profit des groupes eurosceptiques. Les Verts stagneraient, les Libéraux seraient en perte de vitesse[1]. Plusieurs éléments planent dans l’air et vont être déterminants pour la prochaine configuration européenne.

 

Le Brexit et l’europhobie

Le Brexit fait énormément parler de lui et se retrouve dans chaque discours sur le futur de l’Union européenne. Rappelons-nous, en juin 2016, les Britanniques décidaient par référendum de quitter l’Union européenne à 51,9% des voix. Après de douloureuses négociations, un accord a finalement été trouvé en novembre 2018 sur les conditions de la sortie du Royaume-Uni de l’UE. Mais depuis janvier, la Chambre des Communes a rejeté par quatre fois l’accord négocié par la Première Ministre Theresa May. Un second report du Brexit a été accepté pour le 31 octobre. L’issue est incertaine.

 

Le Brexit cristallise la division entre pro et anti-européens. Même si d’aucuns disent que le Brexit aura eu pour effet de calmer les velléités séparatistes, on ne peut nier que les voix eurosceptiques ont pris de l’ampleur ces dernières années. Une étude du centre de recherche américain Pew Research Center de 2016 montrait que seuls 38% des français avaient un avis positif sur l’Europe[2], plaçant le pays comme 2e pays le plus eurosceptique après la Grèce. Le sondage révélait aussi que les plus de 50 ans sont généralement plus méfiants envers l’Europe que les plus jeunes. Par contre, la prise de distance avec l’Europe bouleverse les clivages politiques. Si au Royaume-Uni, la gauche (69%) est davantage pro-UE que la droite (38%), c’est l’inverse en Espagne où seuls 32% des adhérents de Podemos soutiennent l’Europe contre 59% de la droite. Tout comme 58% des proches du Mouvement 5 étoiles en Italie ont un avis positif sur l’Europe. Les idéologies des partis n’influencent donc pas forcément l’opinion de leurs adhérents.

 

Il reste que les partis populistes et eurosceptiques ont pris plus de poids ces dernières années. Viktor Orban en Hongrie, Geert Wilders aux Pays-Bas, Marine Le Pen en France, le PiS en Pologne, Mateo Salvini en Italie, le FPÖ en Autriche, tous posent un doute sur l’Europe et manifestent le souhait de la réformer profondément de l’intérieur. Pour le moment, trois groupes parlementaires s’affichent comme eurosceptiques : le CRE (Conservateurs et réformistes européens) qui compte 71 députés, l’ELDD (Europe de la liberté et de la démocratie directe) qui compte 46 députés et l’ENL (Europe des Nations et des Libertés), créé par Marine Le Pen et comptant 35 députés. En tout, 152 députés divisés dans 3 groupes différents. Leur unité semble encore lointaine même si plusieurs d’entre eux affirment très bien s’entendre[3].

 

Le prétexte de l’immigration

Les raisons qui ont poussé le Royaume-Uni à poser le choix de la séparation ressemblent en apparence aux arguments repris par les eurosceptiques. La question de l’immigration est le principal exemple.

 

Du côté de l’UE, la question migratoire aura été sur le devant de la scène durant pratiquement toute cette législature. Certains prédisent qu’elle sera déterminante lors des élections européennes de la fin du mois de mai. Une enquête d’opinion menée par l’ECFR[4] (Conseil européen pour les relations internationales) avance toutefois que le souhait des leaders eurosceptiques de faire de l’élection un référendum contre l’immigration ne sera pas rencontré. Seuls 14% des 45 000 personnes interrogées voient l’immigration comme la principale menace pour l’Europe aujourd’hui. D’autres préoccupations semblent davantage concerner les citoyens européens : selon le même sondage, ceux-ci se focaliseraient sur le coût de la vie, le chômage ou l’émigration de citoyens de Hongrie ou de Roumanie vers d’autres pays.

 

Comme le montre le sondage, des motifs socio-économiques apparaissent en tête des préoccupations. Il semblerait donc bien qu’il existe un décalage entre la place accordée à l’immigration dans les discours médiatiques et politiques et les véritables priorités des populations européennes[5].

 

Du côté des pro-Brexit, la lutte contre l’immigration a été le prétexte majeur mobilisé pour encourager ce choix. Le message de la campagne des europhobes était clair : « quitter l’Europe et maîtriser l’immigration, ou rester et subir une immigration illimitée, une baisse des salaires et des tensions culturelles[6] ». Cet argument a pris une place centrale dans le débat invisibilisant d’autres raisons sociales expliquant ce choix : des populations de villes post-industrielles se sentant abandonnées et accablées par les mesures d’austérité promues par l’UE, en recherche de meilleures perspectives[7]. Le Brexit révèle en effet une profonde fracture entre les élites partisanes de rester dans l’UE et les masses populaires qui subissent de plein fouet les conséquences d’un système économique néo-libéral mondialisé creusant toujours plus les injustices.

 

Ce constat social est sans doute aussi ce qui maintient les Gilets jaunes[8] dans les rues de France depuis plusieurs semaines. Ce mouvement, arrivé par surprise, mobilise une frange populaire de la population peu habituée aux mobilisations massives. Malgré la variété des structures et un rapport hésitant à la représentativité, le leitmotiv des gilets jaunes est clair : critiquer radicalement les politiques de fiscalité nationales et dénoncer une autorité politique déconnectée des réalités des couches sociales défavorisées. Il est important de noter que, contrairement aux discours pro-Brexit, les textes officiels de groupes de Gilets Jaunes ne contiennent pas de propos racistes et xénophobes[9]. Si certains dérapages ont été constatés, dont l’écho a été renforcé par une stratégie de diabolisation du pouvoir[10], il n’en demeure pas moins essentiel de se pencher sur ce ras-le-bol exprimé massivement.

 

Vers une hausse des protestations ?

Plus largement, ces manifestations de colère risquent de se multiplier sur le continent face à des inégalités toujours plus aigües, une précarisation du marché de l’emploi et une paupérisation croissante. Les chiffres en attestent : en 2011, 120 millions de personnes vivaient sous le seuil de pauvreté, soit ¼ de la population européenne. Selon Oxfam[11], ce nombre pourrait augmenter de 15 à 25 millions de personnes d’ici à 2025 si les politiques d’austérité européennes se poursuivent. Les écarts de revenus se creusent également. Un travailleur sur dix est pauvre en Europe en raison de facteurs tels que la précarité et la flexibilité du travail grandissantes. Depuis 1980, les 1 % d’Européens les plus riches ont vu leur revenu moyen croître deux fois plus vite que celui des 50 % les moins aisés[12].

 

Les politiques européennes ne semblent pas à même de prendre des mesures plus égalitaires. Au contraire, depuis la crise financière de 2007-2008, les politiques d’austérité (baisse des dépenses publiques, augmentation des recettes fiscales, etc.) mises en place ont renforcé les inégalités sociales (augmentation du chômage, des inégalités de revenus, etc.). Le cas de la Grèce est exemplatif à ce sujet, la pauvreté ayant explosé suite aux mesures d’austérité imposées. Des experts du FMI (Fonds Monétaire international, protagoniste central dans la mise en place des politiques d’austérité) ont d’ailleurs reconnu en 2012 avoir sous-estimé les effets négatifs de l’austérité sur l’emploi et l’économie[13].

 

Oser remettre en question et agir

Avec des gouvernements de gauche appliquant les mêmes recettes économiques que ceux de droite, tel François Hollande en France, l’espace reste grand ouvert pour les discours critiques de l’extrême droite. « Face à l’absence de réponse démocratique et progressiste, il n’est pas étonnant que les classes populaires et moyennes finissent par se tourner vers les forces xénophobes. Il s’agit d’une réponse pathologique à un abandon bien réel. Née d’un projet de marché commun adapté à la reconstruction et à la croissance des années 1950-1970, la construction européenne n’a jamais su se transformer en force efficace de régulation du capitalisme mondialisé et financier en plein essor depuis les années 1980-1990 » écrit Thomas Piketty[14].

 

Si l’UE veut éviter la montée des eurosceptiques et des tendances extrêmes, elle doit être capable d’ouvrir les yeux sur son état, et les résultats injustes de ses politiques néo-libérales. Mais comme le dit Frédéric Lordon, « mettre un terme aux avancées de l’extrême droite et aux référendums enragés supposerait de rompre avec les politiques de démolition sociale qui nourrissent les extrêmes droites et les référendums enragés. Mais ces politiques sont celles mêmes du néolibéralisme ! ». L’Union européenne ne semble pas disposée à remettre en cause les dogmes économiques qui la gouvernent.

 

Tant que l’Europe ne sera pas prête à reconnaître les dégâts de ses politiques d’austérité, à reconnaître les difficultés des populations précarisées toujours plus nombreuses, à prioriser une Europe sociale (et écologique) à la hauteur des véritables enjeux actuels, les partis d’extrême droite et leur analyse erronée et populiste continueront à séduire les personnes en attente d’un changement, comme l’a montré le Brexit.

 

Le rôle d’associations telles que Justice et Paix est de continuer à critiquer les travers d’un système économique néo-libéral qui met la majorité de la population et la planète à l’agonie et de faire pression sur les politiques pour promouvoir d’autres possibles. Du côté du citoyen, s’informer correctement est essentiel pour dépasser les discours simplistes et mensongers et agir en s’engageant, ne serait-ce que par le vote, pour plus de justice sociale, fiscale et écologique.

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[1] GUITTON et KAKON, « A quoi ressemblera le futur Parlement européen ? », https://www.touteleurope.eu/actualite/a-quoi-ressemblera-le-futur-parlement-europeen.html

[2] Le sondage a porté sur 10 pays européens dont la France, la Grèce, l’Allemagne, l’Italie, le Royaume-Uni. https://www.lemonde.fr/europe/article/2016/06/08/union-europeenne-les-francais-de-plus-en-plus-eurosceptiques_4941770_3214.html

[3] BUISSON M., « Eurosceptiques et populistes se frottent les mains en attendant 2019 », https://plus.lesoir.be/164943/article/2018-06-27/eurosceptiques-et-populistes-se-frottent-les-mains-en-attendant-2019

[4] RICARD Ph., « L’immigration, un sujet d’inquiétude parmi d’autres pour les européens », https://www.lemonde.fr/international/article/2019/04/01/l-immigration-un-sujet-d-inquietude-parmi-d-autres-pour-les-europeens_5443969_3210.html?utm_term=Autofeed&utm_medium=Social&utm_source=Facebook&fbclid=IwAR2wFa988Q_ELF0BT-kjxNWhYALYT6als1enxuSPGBTfizlObq_PwfgcdR0#Echobox=1554077157

[5] Pour aller plus loin, voir analyse de Justice et Paix, http://www.justicepaix.be/Cap-sur-les-elections-les-migrations-en-reflexion

[6] MASON P., « les raisons de la colère », https://www.monde-diplomatique.fr/2016/08/MASON/56082

[7] Ibid

[8] Voir l’analyse de Justice et Paix : http://www.justicepaix.be/Gilets-verts-ou-gilets-jaunes

[9] Appel de la première « assemblée des assemblées des Gilets jaunes », https://reporterre.net/Appel-de-la-premiere-assemblee-des-assemblees-des-Gilets-jaunes

[10] GUENOLE Th., « Calomnier les Gilets jaunes, la stratégie ignoble et bien rôdée de Macron »,  https://www.huffingtonpost.fr/thomas-guenole/calomnier-les-gilets-jaunes-la-strategie-ignoble-et-bien-rodee-de-macron_a_23678415/

[11]Oxfam, « Le piège de l’austérité, l’Europe s’enlise dans les inégalités »,  https://www.oxfamfrance.org/wp-content/uploads/2014/01/file_attachments_piege-austerite_oxfam-resume.pdf

[12] CHARREL M., « Inégalités : les écarts de revenus ont augmenté partout en Europe », https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/04/02/inegalites-les-ecarts-de-revenus-ont-augmente-partout-en-europe_5444517_3234.html?utm_medium=Social&utm_source=Facebook&fbclid=IwAR0C4zXEOjyvpMJaIhcsq2-Z52cBAeI4SXpjWF73t9Ywh8f1woHIq3Rq8Lo#Echobox=1554188402

[13] ALBERTINI D., « Oups, le FMI s’est trompé sur l’austérité », https://www.liberation.fr/futurs/2013/01/08/oups-le-fmi-s-est-trompe-sur-l-austerite_872394

[14] PIKETTY Th., « Reconstruire l’Europe après le Brexit », http://piketty.blog.lemonde.fr/2016/06/28/reconstruire-leurope-apres-le-brexit/

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Europe leads the race towards a 0% corporate tax rate

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 La course à l’impôt zéro des sociétés … et à la fin, toujours l’austérité !?

Selon une récente étude d’Eurodad[1], voir ci-dessus, on peut prévoir un impôt des sociétés égal à zéro d’ici à 2052, au rythme de réduction désormais adopté par nos gouvernements tous les 10 ans.

Pour rappel, on est passé en Belgique de 56,8% dans les années 70 à 41% en 1990, pour arriver à 33,99% dans les années 2000. Dans les années 50, au pays de la libre-entreprise que sont les USA, les Rockefeller et autres Carnegie acceptaient de contribuer (par l’impôt) à la relance nationale en y consacrant 90% des bénéfices de leurs sociétés. Très récemment, un sondage[2] montrait que 70% des Belges étaient sceptiques par rapport aux multinationales et opposés  aux avantages fiscaux accordés pour tenter de les attirer en Belgique !

La cavalcade des funambules

En juillet 2017, dans le cadre des prévisions budgétaires pour 2018, le gouvernement Michel annonçait une réduction de l’impôt des grosses sociétés passant, pour le taux nominal, de 33,99% à 25% en 2020. Et pour les PME, le taux de la première tranche de 100.000 euros passera  de 25 à 20%. Le tout, sans aucune garantie ni engagement en matière d’emploi mais budgétairement « neutre » … Le Bel-20  (et ses actionnaires) bondissait suite à ces annonces ![3]

Six mois après et deux nouvelles annonces en octobre et novembre plus tard[4], le gouvernement dépose finalement sa copie, en relative urgence maintenant : cela doit passer à la Chambre avant la fin de l’année pour pouvoir être appliqué en 2018 !

Successivement, la Cour des Comptes et la Banque Nationale entre autres, se sont penchées sur ces propositions. Elles ont émis des doutes sur l’équilibre de cet échafaudage qui repose sur une bonne trentaine de mesures compensatoires.

Deux remarques s’imposent. Tout d’abord, les taux affichés (nominaux) sont des taux de départ et ne tiennent pas compte de déductions fiscales qui interviennent ensuite. Ils ne correspondent donc pas du tout à l’impôt réellement payé par les sociétés. Par exemple, les 1000 sociétés affichant les plus gros bénéfices en Belgique ne paient en fait que 7,9% d’impôts sur leurs bénéfices et les 50 plus grands champions des ristournes fiscales paient un taux moyen d’imposition de 1% ! Le taux effectif moyen pour l’ensemble des sociétés serait de 15%, proche de la moyenne européenne.[5]

Par ailleurs, ce cadeau fait aux entreprises devra être budgétairement neutre et  ne  rien coûter au contribuable. En fait, dans le cadre de la lutte à l’OCDE et dans l’Union européenne contre une « fiscalité abusivement agressive », le gouvernement belge, souvent critiqué à ce sujet au niveau international, veut profiter de cette occasion pour mettre de l’ordre dans les incitants fiscaux qu’il accorde aux sociétés depuis quelques dizaines d’années. Il annonce ainsi vouloir supprimer ou réduire certaines « niches » – principalement les intérêts notionnels – pour compenser le nouveau « beau » cadeau ! Baisser les taux, mais élargir la base fiscale pour compenser : «  c’est la tendance actuelle au niveau international »

Pour la Cour des Comptes, la marge de sécurité retenue pour le budget 2018 est faible. Elle s’interroge aussi sur la neutralité budgétaire de l’opération. La diminution des « intérêts notionnels » qui devrait intervenir pour compenser la moitié du coût de cette diminution de l’Isoc est particulièrement difficile à évaluer, avis partagé par de très respectables économistes. Elle dépend de l’évolution économique assez imprévisible pour les années à venir (croissance de l’activité économique ? et hausse des taux d’intérêts ?) ; la  croissance de la  taxe Caïman est impossible à évaluer, ainsi que différentes autres compensations, basées sur des données dépassées remontant parfois à 2015, voire 2012 … !  En conclusion, « l’impôt des sociétés (lui-même) comporte la marge d’erreurs la plus élevée, principalement à cause du caractère cyclique des entreprises et des effets parfois imprévisibles de leurs comportements ».

Pour la BNB, si les intentions du gouvernement sont louables (baisse des taux à compenser par un élargissement de la base taxable), « le tableau des mesures de compensation est plus mitigé ». « Dans l’ensemble, la réforme comporte des risques à la hausse comme à la baisse ». Réponse donc nettement plus réservée de la BNB, réponse de Normand d’un organe assez proche de l’actuelle majorité gouvernementale … !?

Rendre la mariée plus belle                                                                                                  

Neutralité budgétaire ? On le voit, rien n’est moins sûr ! – Un gouvernement Michel, champion de la rigueur budgétaire ? On devrait plutôt parler d’une nouvelle rigueur annoncée pour demain. Certaines niches sont réduites ? Mais d’autres apparaissent. Quant au taux minimum de 7,5% d’impôt également annoncé, on s’aperçoit que les 50 sociétés les plus ristournées paieront 2,4% d’impôts alors qu’elles ne paient aujourd’hui que 1% sur leurs bénéfices.  Quant aux PME, soi-disant avantagées, certaines pourraient voir leur taux d’imposition finalement passer de 24,98% à 25% ! Tout ceci se justifierait au nom de la compétitivité. Ici aussi, de récentes études[6] nous rappellent que des pays comme l’Allemagne, le Japon, les USA, la France ont comme la Belgique des taux nominaux élevés mais aussi une compétitivité élevée …

Si toutes ces incertitudes sont là, on peut raisonnablement poser la question de savoir qui va payer finalement le coût de cette opération, estimée à 5,5 milliards par le SPF Finances[7]. Qui va financer l’environnement des entreprises : les infrastructures et la mobilité nécessaire à la bonne marche des affaires, l’enseignement et la qualification de la main d’œuvre hautement recherchée dans un univers mondialisé, la culture, la protection sociale qui garantit climat et paix sociale …   et favorise l’attractivité d’un pays ? Les détenteurs de capitaux, les grosses sociétés ? Pour rappel, la TVA a augmenté partout en parallèle au déclin de l’I.Soc … Alors, le déficit continuera et le citoyen lambda paiera ! En wallon, on dit, « c’est todî les p’tits qu’on sprotche ! ». Merci M. Michel et la NVA, nous nous en souviendrons bientôt…

François GOBBE  (RJF/Kairos Europe WB)

 

Le RJF (Réseau pour la Justice Fiscale) réunit les syndicats et une trentaine d’ONG, de mouvements et d’associations de Wallonie et de Bruxelles.

[1] http://www.eurodad.org/files/pdf/1546849-tax-games-the-race-to-the-bottom-1512547011.pdf p. 14:

[2] Sondage Le Soir – RTL, octobre 2016

[3] L’Echo 26 juillet 2017

[4] L’Echo 12 octobre et 7 novembre 2017

[5] « Réformes de l’impôt des sociétés » – Gilles ‘t Serstevens –Econosphères n°30 – 20 octobre 2017

[6] « There is no link between tax rates and competitiveness » – 8 octobre 2017 – F.Weyzig (Oxfam Novib, Pays-Bas) ; “Le beurre et l’argent du beurre” – Comment les multinationales échappent à la redistribution fiscale – CISL, 2006  p.52

[7] Réforme de l’impôt des sociétés – 13 octobre 2017

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